Réhabilitation énergétique et confort thermique

Maison ancienne à Guérande (44). © Ph. Cieren.
Maison ancienne à Guérande (44). © Ph. Cieren.

Cet article vient compléter l’exposé donné lors de la journée d’étude de l’ANABF à Charenton-le-Pont le 24 novembre 2022.

Réhabiliter pour répondre aux contraintes énergétiques et climatiques

Les habitats et les écosystèmes sont fortement impactés par les changements planétaires. La dépendance aux énergies fossiles et le changement climatique constituent des menaces grandissantes. Les fonctions d’abri, de confort et d’habiter du bâti ancien sont fragilisées.

Dans ce contexte, alors que les interactions thermophysiques des bâtiments évoluent avec leur environnement, les opérations de réhabilitation doivent intégrer les nouvelles contraintes énergétiques et climatiques.

Ainsi, tout projet de réhabilitation du bâti ancien doit aujourd’hui considérer la complexification du diagnostic. Dans un écosystème changeant, toute opération de réhabilitation se doit de trouver l’équilibre entre énergie et climat, de créer un environnement intérieur sain et confortable pour l’habitant tout en réduisant les impacts sur l’environnement extérieur.

Cependant, limiter les objectifs de la réhabilitation à la réduction d’une facture et d’une consommation énergétique n’a plus de sens si les exigences de remise en état esthétique (restauration), d’habitabilité et de confort thermique ne sont pas prises en compte. En effet, la seule réduction de la consommation ne garantit pas le confort hivernal et estival. Chaque projet doit intégrer explicitement les fonctions d’habiter et de confort dépendantes des caractéristiques thermophysiques des bâtiments. Pour cela, il doit s’appuyer sur un diagnostic in situ, adapté aux spécificités constructives et bioclimatiques propres au bâti ancien.

Pour le confort thermique des habitants

Chercher le confort thermique suppose une compréhension de la complexité du confort, c’est-à-dire de l’évaluation multidisciplinaire de l’état d’équilibre thermique entre le corps humain et les conditions d’ambiance. Le confort thermique dans le bâtiment est caractérisé par de multiples grandeurs identifiées par des normes nationales et internationales.

L’étude du confort s’appuie sur la modélisation des phénomènes physiques liés à la propagation de l’énergie. Les trois modes de transferts thermiques à considérer sont le rayonnement, la convection et la conduction. Les échanges thermiques associés à la présence d’eau dans l’environnement (évaporation, condensation, transfert d’humidité, changement de phase, etc.) sont également à prendre en compte.

Le confort thermique est fonction de plusieurs facteurs liés à l’espace habité et à l’individu. Les principaux facteurs liés à la caractérisation d’une ambiance thermique sont la température de l’air (°C), la température moyenne radiante (°C), la vitesse de l’air (m/s), l’humidité relative (%). Les facteurs liés à l’individu sont le métabolisme (met) et la vêture (clo). Ces facteurs permettent une mesure du confort qui n’est pas une perception subjective.

Des mesures in situ et des enquêtes peuvent être réalisées, et différents modèles de confort peuvent être utilisés1 .

Parmi ces modèles, il y a les indices PMV/PPD qui estiment les pourcentages de personnes satisfaites et insatisfaites.

Relation entre les indices PVM et PPD (Modèle de confort de Fanger).

Des diagrammes psychrométriques aident à la caractérisation des zones de confort selon des grandeurs thermiques données.

Identification d’un polygone de confort avec un diagramme psychométrique.

Chaque modèle de confort a son domaine de définition et d’application (ambiances intérieures ou extérieures, homogènes ou hétérogènes, stables ou instables, hivernales ou estivales, etc.).

Les modèles de confort adaptatif rappellent la complexité du confort thermique en essayant de représenter les mécanismes adaptatifs du confort avec les dimensions physiques, physiologiques et psychologiques. L’acclimatation, les ajustements comportementaux, l’expectative, l’accoutumance, l’expérience et la mémoire peuvent être pris en considération. Cependant, bien que le parc immobilier français compte plusieurs dizaines de millions de logements, il apparaît que les travaux scientifiques permettant de caractériser les performances énergétiques et le confort thermique du bâti ancien restent peu nombreux.

Mieux connaître le bâti ancien

Une étude internationale listant les travaux publiés dans des revues scientifiques entre 1978 et 2014 sur la performance énergétique et le confort thermique des bâtiments historiques montre que les pays ayant le plus publié sont l’Italie, le Royaume-Uni, l’Espagne, la Chine et le Danemark2 .

En France une seule étude scientifique a été publiée dans cette période3 . Il s’agit de l’étude BATAN (bâtiments anciens) relative à la modélisation du comportement thermique du bâtiment ancien avant 1948. Elle a montré les qualités thermiques du bâti ancien (inertie, humidité, ventilation, confort…), des consommations d’énergie pour le chauffage et l’eau chaude comprises entre 100 et 200 kWhep/m².an (inférieures à la moyenne du parc existant), et la surestimation des consommations par les logiciels de calcul réglementaires4 .

Comparaison des consommations réelles et simulées – Connaissance des bâtiments anciens et économies d’énergie. 2007.

L’étude BATAN a montré que, pour le bâti ancien, il existe parfois d’importants écarts entre les consommations réelles et les consommations simulées pour des niveaux semblables de confort thermique. Ces écarts, qui interrogent les domaines de validité des simulations thermiques, s’expliquent par la complexité des phénomènes thermophysiques des systèmes constructifs du bâti ancien, difficiles à modéliser. Par exemple, des inerties très lourdes sont caractérisées avec d’importants effets d’amortissement et de déphasage thermique. Ces phénomènes inertiels sont dus à des parois ayant des propriétés thermophysiques hétérogènes et anisotropes composées de matériaux locaux ayant une forte variabilité des propriétés dans le temps, souvent sensibles à l’eau et aux variations climatiques :
-les roches denses et très denses : granit, basalte, gneiss et marbre, grès quartzeux, calcaire extra-dur, ardoise et schiste ;
-les matériaux de densité moyenne : calcaire tendre, brique de terre cuite pleine ;
-les terres crues et roches extra-tendres : pisé, adobe, bauge, tuffeau ;
-les matériaux de faible densité : pierre poreuse naturelle, bois et torchis5 .

Dans la cas du bâti ancien, l’écosystème environnant et les facteurs locaux sont particulièrement influents : l’implantation, la mitoyenneté des bâtiments, l’orientation et l’exposition au soleil et au vent des façades (traduite par la densité bâtie). La répartition des déperditions thermiques par l’enveloppe est très variable et dépend des configurations bâtimentaires rencontrées (systèmes constructifs, mitoyenneté, taux de surface vitrée…).

L’étude BATAN a montré que les techniques constructives anciennes permettaient d’obtenir des ambiances intérieures hivernales et estivales globalement confortables. L’effet de paroi froide, parfois identifié l’hiver, peut être réduit par des stratégies de migration saisonnière avec occupation différente des pièces (hiver, été) et des aménagements intérieurs adaptés aux sols et aux parois (tapis, rideaux, tapisseries).

Les études internationales6 montrent la nécessité de mieux appréhender les performances du bâti ancien et d’anticiper les impacts des nouvelles contraintes énergétiques et climatiques :
-la caractérisation des systèmes constructifs et des matériaux, via des mesures en laboratoire et des campagnes de mesures in situ (conductivité, résistance à la vapeur d’eau, hygroscopicité, etc.) ;
-le comportement hygrothermique des systèmes constructifs traditionnels (transferts couplés, etc.) ;
-la recherche des solutions de réhabilitation adaptées aux spécificités de différentes typologies de bâtiments anciens.

Il faut aussi noter que l’étude BATAN a permis de développer un protocole expérimental pertinent pour conduire des diagnostics thermiques indispensables à l’accompagnement des opérations de réhabilitation des bâtiments anciens.

Anticiper de nouveaux défis

Depuis plusieurs années, de nouveaux défis énergétiques et climatiques contraignent la réhabilitation. La réduction drastique du recours aux énergies fossiles doit s’accompagner de la prise en compte du changement climatique.

Différentes études mettent en évidence l’impact de ces contraintes sur le bâti ancien, souvent plus sensible aux variations climatiques que le bâti moderne (systèmes constructifs industriels – béton, verre, acier). Elles fournissent également des retours d’expérience sur l’évolution des écosystèmes pour comprendre et agir :
-sur la vulnérabilité du bâti à l’eau : sécheresse et inondation, dessiccation des sols, fragilisation des fondations, variation des nappes phréatiques, montée du niveau des eaux des mers et océans, etc.7  ;
-sur la vulnérabilité au changement climatique : variations des températures diurnes et saisonnières, îlots de chaleur urbains, événements climatiques extrêmes. Les impacts économiques, sanitaires et environnementaux sont amplifiés avec les inconforts thermiques (hiver et été), la diminution des consommations de chauffage et l’augmentation des besoins de rafraîchissement et de climatisation8 .

Alors que les opérations de réhabilitation se complexifient, il faut noter la faible activité de recherche et de développement sur les problématiques de conservation et de réhabilitation du bâti ancien, sur les stratégies de transition énergétique et d’intégration des énergies renouvelables et sur l’anticipation des impacts du changement climatique.

Le nombre d’articles scientifiques publiés en France relatifs aux performances de nouvelles générations de constructions durables (green buildings), possédant souvent les propriétés énergétiques et environnementales similaires à celles du bâti ancien, est faible. Une étude internationale menée sur la période de 2000 à 2017 montre que les pays les plus actifs pour travailler sur ces problématiques sont les États-Unis, la Chine, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Australie9 .

Comme dans le passé, face à de nouveaux défis, les problématiques sont à reformuler pour envisager de nouvelles actions :
-des activités de recherche visant à produire des connaissances sur les phénomènes multiphysiques liés au patrimoine bâti ;
-des diagnostics interdisciplinaires accompagnés de mesures saisonnières in situ aptes à appréhender la complexité des écosystèmes bâtis anciens ;
-le développement de l’histoire des sciences et des techniques constructives afin d’orienter les actions de réhabilitation présentes et futures ;
-l’évaluation des stratégies de conservation et de réhabilitation, le développement de la formation initiale et continue, l’encouragement à connaître le patrimoine bâti ancien pour acquérir les compétences permettant d’affronter les nouveaux défis du XXIe siècle.

Enfin, compte tenu de la diversité des intérêts à agir, ces connaissances relatives à la connaissance du bâti ancien devraient pouvoir être diffusées largement en considérant que la conservation et la réhabilitation du patrimoine relèvent de l’intérêt général et d’une responsabilité éthique individuelle et collective. Si de nombreux acteurs peuvent y contribuer, les gouvernements ont un rôle essentiel à jouer. Cependant, les initiatives émanant de la société, des associations, des entreprises et des investisseurs peuvent également être déterminantes.

  1. Moujalled, B. Modélisation dynamique du confort thermique dans les bâtiments naturellement ventilés. Thèse INSA de Lyon, 2007.
  2. Martínez-Molina, A. Tort-Ausina, I. Cho, S. Vivancos, J-L. Energy Efficiency and Thermal Comfort in Historic Buildings: A Review. Renewable and Sustainable Energy Reviews. Volume 61, August 2016, Pages 70-85.
  3. Cantin, R. Burgholzer, J. Guarracino, G. Moujalled, B. Tamelikecht, S. Royet, B.G. Field Assessment of Thermal Behaviour of Historical Dwellings in France. Building and Environment. Volume 45, Issue 2, February 2010, Pages 473-484.
  4. ENTPE, Cerema Est, Cerema Ouest, INSA Strasbourg, Maisons Paysannes de France. BATAN : Modélisation du comportement thermique du bâtiment ancien avant 1948. Ministère de l’Écologie et du Développement durable – ADEME. 2011. CREBA Centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien.
  5. Cantin, R. Burgholzer, J. Guarracino, G. Moujalled, B. Tamelikecht, S. Royet, B.G. Field Assessment of Thermal Behaviour of Historical Dwellings in France. Building and Environment. Volume 45, Issue 2, February 2010, Pages 473-484.
  6. Martínez-Molina, A. Tort-Ausina, I. Cho, S. Vivancos, J-L. Energy Efficiency and Thermal Comfort in Historic Buildings : A Review. Renewable and Sustainable Energy Reviews. Volume 61, August 2016, Pages 70-85.
  7. Reimann, L. Vafeidis, A.T. Brown, S. Hinkel, J. Tol, R.S.J. Mediterranean UNESCO World Heritage at Risk from Coastal Flooding and Erosion Due to Sea-level Rise. Nature Communications, 2018.
  8. Lefèvre, R-A. Le patrimoine culturel français face au changement climatique mondial. Paris, Icomos France, 2020.
  9. Geng, Y. Ji, W. Wang, Z. Lin, B. Zhu, Y. A Review of Operating Performance in Green Buildings: Energy Use, Indoor Environmental Quality and Occupant Satisfaction. Energy and Buildings. Volume 183, 15 January 2019, Pages 500-514.
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